Hommage à Serge
Serge est décédé le lundi 15 décembre 2003 à l’hôpital Joseph Bracops d’Anderlecht.
Cinq ans auparavant (en décembre 1998 exactement), il avait décidé de lancer, donc de se lancer dans une initiative suffisamment impertinente que pour devenir pertinente : constituer, avec ceux qui en appréhendaient l’urgence militante et en comprenaient la nécessité politique, le premier groupe ATTAC en Belgique. Après vingt années de tâtonnements (marquées par le naufrage d’une gauche opportuniste, littéralement possédée par la droite possédante et son système de valeurs), ATTAC semblait être la traduction organisationnelle adéquate, “en phase” avec une nouvelle période de contestation idéologique au niveau mondial. Une intuition d’autant plus probante qu’à peine quelques mois plus tard l’effervescence de Seattle allait contribuer, de manière irrévocable, à confirmer cet état de fait.
Dans cette acceptation, Serge avait pris “à la lettre” l’envie, la préférence, l’ambition (énoncées ainsi dans le texte fondateur du mouvement, au niveau international) de construire chez nous une association véritablement “citoyenne”. Où chaque personne (re)deviendrait le producteur d’une espérance collective, décidée collégialement.
ATTAC, une association d’éducation permanente ? Pour Serge, cela voulait dire : créer des lieux diversifiés et adaptables dans lesquels tout un chacun aurait la possibilité de s’informer et de se former, d’échanger des idées et de se changer les idées -au lieu de rester subjugué par les discours publicitaires de journalistes à gage, à la pensée conformiste. D’où, la mise sur pied d’un cycle de formations sur la spéculation et la création d’un Café politique permanent.
ATTAC, une association tournée vers l’action ? Pour Serge, cela voulait dire : créer ici même (dans la capitale de l’Europe néo-libérale) des moments propices à la structuration de rapports de forces efficaces, afin de dénoncer prioritairement les confédérations patronales et leurs ligues patronnées par les Commissaires européens (ces commis chargés par les institutions de traduire, sous forme de Directives, les desiderata comminatoires des chefs d’entreprises multinationales). D’où les appels, lancés à deux reprises, en direction de la mouvance et des forces progressistes constituées : la première fois, pour contester la tenue du premier European Business Summit organisé par l’UNICE (l’Union des Confédérations de l’Industrie et des Employeurs d’Europe) à Bruxelles le 10 juin 2000. La seconde fois, pour démontrer la large opposition publique au Sommet européen de Laeken le 14 décembre 2001. Faut-il le rappeler ? Entre janvier et juin 2000, ce fut grâce à l’obstination (au départ très esseulée) de Serge, à sa force de conviction et à son souci de construire des alliances fringantes qu’au final une dynamique généreuse déboucha sur une manifestation de 2.000 personnes. Malgré les pressions policières exercées sur le mouvement et les intimidations policées lancées de l’intérieur du mouvement.
Idem pour le cortège du 14 décembre 2001 où (malgré les pressions policières et des intimidations policées) 20.000 protestataires, mélangeant les nationalités et les connivences, prouvèrent à Serge combien la contestation du néo-libéralisme pouvait désormais compter et s’appuyer sur la force, l’énergie et la créativité d’une part significative de la jeunesse.
ATTAC, une association indépendante ? Serge avait, depuis le début, une crainte compulsive : que l’association naissante tombe inconsciemment dans les travers et succombe rapidement sous les coups d’une ONGïsation rampante. Contre ce danger réel, il mettait constamment en garde ses amis d’ATTAC, à Bruxelles comme dans d’autres locales. ONGïsation ? Donner un trop-plein de poids aux associations adhérentes au lieu d’asseoir la démocratie interne sur les personnes à titre individuel ; entraîner, au nom d’une prétendue efficience, l’association à se doter de permanents rémunérés par les pouvoirs publics ; demander des subsides à tire-larigot ; se mettre en ASBL ; bien se faire voir du monde politique traditionnel ; se pousser devant et faire du lobbying, en secondarisant toute mobilisation civile ; préférer les forums, les colloques en lieu et place de toute manifestation ou action risquant d’être combative, inattendue, insolente voire illégaliste... : c’est bien de ces menaces-là que Serge avait l’appréhension. Et pas de la nécessité bien comprise de rechercher des alliés dans différents partis ou dans les syndicats. Evidemment, cette dernière obligeance ne devait et n’aurait pu se faire sans débat, sans limite. Ainsi, Serge s’opposa-t-il justement à la demande d’adhésion à ATTAC (une adhésion acceptée, par les instances “coordinatrices” du Mouvement au niveau francophone, comme allant de soi) d’Elio Di Rupo qui, jusqu’alors -comme vice-Premier et Ministre aux Etablissements publics- n’avait cessé de préparer les conditions de leur privatisation.
Serge aura tout fait à ATTAC-Bruxelles : militant de base (il y aura été, sans regimber, “la petite main” gérant le fichier des membres ; collant les timbres pour les envois du mensuel Angles d’Attac ; rédigeant des appels, des articles ; distribuant des tracts), membre du Secrétariat (il y aura accompli “tout ce qu’on lui demandait et plus encore”, préparant les réunions ; écrivant des éditos ; collaborant à la rédaction de livres et de brochures ; accomplissant les tâches dévolues à un porte-parole mandaté ; administrant les contacts internationaux ; répondant aux nombreux courriers-mail ; impulsant la prise en charge et le soutien aux camarades arrêtés lors des manifestations)..., Serge aura aussi été, pendant une année, le Président de la locale à Bruxelles. C’était le bon temps.
Car Serge avait renoué, à travers l’association, avec la fébrilité de ses années de militance quand, à peine adulte, il avait déjà choisi la radicalité en s’engageant dans les rangs du Parti communiste. Guerre américaine en Corée ; sauvagerie colonialiste au Congo ; agression US contre le Vietnam... ; solidarité concrète avec les déserteurs portugais, avec les révolutionnaires aux œillets, avec les militants anti-franquistes et les républicains d’Irlande du Nord ; soutien politique et matériel au prolétariat en lutte (lors de la grève de 1960, à l’occasion de la révolte des ouvrières de la FN à Herstal en 66, dans les mines du Limbourg en 1970 ou à Clabecq à la fin des années 90)... : Serge se sera ainsi jeté “à corps perdu” dans le grand combat pour l’émancipation sociale.
Pour l’engagement politique, c’est donc peu dire qu’il aura eu de la suite dans les idées : pourtant, Serge n’avait rien d’un suiviste. Une fois un objectif fixé, il entendait qu’on se donne les moyens de franchir la ligne d’arrivée : Serge n’avait pourtant rien d’un arriviste.
Sa conception en matière de cohérence idéologique ? Dynamiser -en restant le plus didactique possible- une véritable unité entre tous, une démarche qui n’avait rien à voir avec l’unanimisme et l’uniformité.
Même si le terme est dorénavant galvaudé, Serge avait l’étoffe d’un dirigeant. Entendons-nous bien : il n’avait rien d’un commandeur, c’était plutôt un instit’ “sans tuteur”. Sur les difficultés à surmonter sans cesse, sur les solutions à leur trouver inopinément, Serge était resté très attentif, très lucide. Pourtant, il refusait qu’on le prenne pour un extra-lucide.
Finalement, de toute sa vie, Serge n’aura jamais accepté de passer du côté de la bourgeoisie fourrée ou en fourrure, de se laisser acheter quand tout se vend si bien (même le désir de révolution). Jusqu’au bout, il aura préféré être un vieux combatif plutôt qu’un ancien combattant.
Serge Cols était né le 5 juin 1932 à Charleroi. Son décès est une perte immense pour l’association.
Jean FLINKER
La soirée consacrée à Serge Cols débutera à 19h au CEFA-UO (89 av. du parc à 1060 Bruxelles).
Des proches, des amis évoqueront des souvenirs politiques et l’engagement d’un homme qui, jusqu’à la fin, aura œuvré pour la justice et l’émancipation sociales.