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Première analyse de la Déclaration gouvernementale de la coalition violette (libérale-social-démocrate)

Attention aux pièges !

par Henri

Sorti des urnes de mai 2003, le gouvernement Verhofstadt II est une coalition violette (libérale-social-démocrate). Durant les vacances, il produit un texte expliquant ses intentions : la Déclaration gouvernementale.

Ceci est une première analyse centrée sur la question de l’emploi. Il faut dire que Verhofstadt annonce tout de go qu’il va aider à créer 200.000 postes de travail. Dans un pays qui compte plus d’un million de personnes qui émarge d’une façon ou d’une autre du chômage, cela provoque un certain espoir.

Sera-t-il satisfait ? On peut en douter. Les remarques ci-dessous donnent les raisons de ce pessimisme.

Article paru dans Angles d’Attac, n°44, juillet-août 2003, p.4-5.


Première analyse de la Déclaration gouvernementale

Attention aux pièges !

La Déclaration gouvernementale du nouveau cru Verhofstadt est arrivée. Enfin, pourrait-on dire ! Car, malgré les alliances politiques manifestes avant le scrutin, il a fallu encore deux mois pour peaufiner l’accord. Mais que peut-on en tirer ?

Il y a sans doute trois manières d’appréhender le texte.

D’abord, on peut s’émerveiller des mesures. Et sans doute il y a de quoi s’étonner. Pensez donc : priorité à l’emploi et à la santé ; abrogation de l’article 80, qui permet d’exclure les chômeurs de longue durée ; augmentation du budget de la santé ; reprise de la dette de la SNCB par l’Etat et refinancement des entreprises publiques ; projet pour verser 0,7% du PNB à l’aide au développement ; propositions d’allégement de la dette du tiers-monde ; etc. Qui s’en plaindrait ?

Ensuite, on peut parcourir le document et le refermer en se disant : « cela aurait pu être pire ». C’est sans doute vrai.

Mais on peut aussi rechercher les pièges dans l’accord. Car il y en a aussi. C’est cette manière que nous privilégierons. Dans ce premier article consacré à la Déclaration, nous relèverons surtout trois problèmes.

Priorité au remboursement de la dette publique

Primo, malgré les dispositions intéressantes, tout est soumis au carcan budgétaire. C’est indiqué à la dernière page du texte. Trois exigences sont soulignées par ordre d’importance : 1. il faut que le budget soit équilibré pour 2004 et 2005 et excédentaire pour 2007 ; 2. l’équilibre doit être assuré pour la sécurité sociale ; 3. les recettes fiscales doivent baisser relativement au PIB (ce qui signifie, en clair, que les avantages fiscaux seront maintenus de toute façon) (1).

Si, dans ce cadre, il reste des marges, elles seront accordées d’abord à l’emploi et à la santé. Ce qui veut donc bien dire que le social (pour autant que l’emploi et la santé ne soient vraiment que cela) vient non pas en première position des priorités gouvernementales, mais en troisième, derrière la réduction de la dette publique (une exigence des marchés financiers et de la Commission européenne) et la baisse des impôts (essentiellement en faveur des entreprises).

En outre, les prévisions de croissance réelle (hausse réelle du PIB) retenues pour réaliser les mesures du gouvernement sont les suivantes : 1,8% pour 2004, 2,8% pour 2005, 2,6% pour 2006 et 2,1% par la suite (2). Si la Belgique n’atteint pas ces scores, les marges seront réduites d’autant. Ce sont donc peut-être des hypothèses optimistes. Car de 1995 à 2004 (estimation), le Fonds monétaire international (FMI) estime que la croissance annuelle réelle moyenne du pays ne s’est élevée qu’à 2,1%, soit moins que les projections de la Déclaration pour la période de la nouvelle législature (2004-2007) (3).

Et l’économie mondiale est très dépendante de la situation aux Etats-Unis. Or, malgré la guerre contre l’Irak, considérée comme victorieuse et rapide, les marchés boursiers restent déprimés. Les déséquilibres sont encore considérables outre-Atlantique : le déficit budgétaire se creuse ; l’endettement des ménages se situe à un record historique ; le déficit de la balance commerciale atteint 5% du PIB américain ; la pression demeure sur le dollar, qui perd de la valeur par rapport à l’euro notamment... Rien ne dit que nous ne sommes pas à l’aube d’un nouveau krach...

L’emploi n’est pas un droit humain élémentaire

Secundo, le programme du gouvernement « violet » s’inscrit complètement dans le plan européen pour rendre le vieux continent plus compétitif et capable de rivaliser et de battre les Etats-Unis. Verhofstadt en appelle d’ailleurs à « plus d’Europe » dans la Déclaration (4).

La politique d’emploi proposée dans le document gouvernemental est la contribution belge au processus de Lisbonne. Celui-ci conclut lors du sommet européen de Lisbonne de mars 2000 avait pour but de faire de l’Europe en 2010 « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » (5).

C’est dans ce cadre que les dispositions suivantes sont prises : augmenter le taux d’emploi (c’est-à-dire la proportion de gens réellement actifs dans la population en âge de travailler, soit la population entre 15 et 64 ans) ; inciter les travailleurs âgés à prendre leur pension le plus tard possible ; mener une politique d’activation des chômeurs (c’est-à-dire les pousser à prendre un emploi) ; développer la flexibilité du travail ; susciter l’esprit d’entreprise en allégeant les charges et les risques de ceux qui démarrent ; etc. Toutes ces mesures font partie de l’arsenal officiel de la politique européenne pour l’emploi.

Or, cette politique est fondée sur la réalisation du plein emploi à travers la compétitivité des entreprises et sur les avantages fiscaux que celles-ci peuvent recevoir, un programme défendu depuis de longue date par la Table ronde des industriels européens (ERT, selon le sigle anglais) (6). Dans cette perspective, l’emploi est un cadeau offert par le patronat et non un droit humain élémentaire, permettant à l’homme de vivre. C’est la même philosophie qui soutient la « priorité à l’emploi » de la nouvelle équipe Verhofstadt.

Même chose pour la police et la justice : les mesures proposées s’inscrivent dans la politique européenne en la matière. En particulier, il est visé de ficher et d’archiver les données sur les « terroristes », d’adopter des démarches secrètes d’écoutes et de participer à la collaboration policière internationale. Or, le mouvement antiglobaliste (ou altermondialiste) est considéré comme « terroriste ». C’est dans ce cadre qu’un organisateur de manifestations contre l’Europe, membre de d14, avait été mis sur écoute en septembre 2001.

Bref, c’est contre ce programme global que les manifestants avaient défilé au cours du second semestre 2001, que ce soit à Bruges, Liège, Gand ou Bruxelles. Et c’est ce programme que Verhofstadt ressert.

La société en sablierUne montagne de bénéfices

Tertio, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes, c’est que le fondement du processus de Lisbonne que le gouvernement violet nous met sur la table n’est que l’application du modèle américain pour l’Union européenne. En effet, le sommet de mars 2000 mettait à l’honneur : l’employabilité, c’est-à-dire la capacité du salarié à se rendre disponible pour les entreprises ; la flexibilité, notamment toutes les formes de travail considérées comme atypiques : travail de week-end, travail de nuit, travail temporaire, sous-traitance, travail à temps partiel, etc. ; les avantages fiscaux en faveur des entreprises, en particulier celles qui débutent, et aux détenteurs des capitaux (7) ; le développement des marchés financiers et notamment des fonds de pension privés (qui ont occasionné les grèves en France en mai et en juin derniers) ; les faveurs accordées aux nouvelles technologies (services informatiques, Internet...) et aux secteurs des services en général.

Le résultat se constate aux Etats-Unis et petit à petit en Europe. C’est la société en sablier selon l’expression de l’économiste écologiste français Alain Lipietz. Selon celui-ci, dans les années 60 et 70, on avait un modèle de distribution des revenus sous une forme de montgolfière : les revenus bas s’amenuisant et les revenus moyens grossissant en nombre ; la pyramide des revenus ressemblait donc à une montgolfière : peu de gens au sommet, peu de gens en bas et la majorité au milieu. Mais, depuis 1980 et les politiques néolibérales, ces revenus moyens repassent progressivement dans les niveaux bas : c’est le sablier (8).

Et c’est ce que propose le processus de Lisbonne et donc la Déclaration gouvernementale : on précipite les salariés de plus en plus vers les catégories les plus pauvres, tout en subvenant aux besoins les plus immédiats des plus démunis (la garantie minimale) ; sans doute, le filet social en Europe est-il plus dense qu’aux Etats-Unis, mais le mécanisme est le même. La sécurité sociale devient de plus en plus une assistance : celui qui perd son travail reçoit de moins en moins un revenu de remplacement en fonction de son droit, mais une contribution en fonction de son état financier ou celui de son ménage.

La qualité de l’emploi se dégrade. Ainsi, sur base des données officielles de l’emploi en Europe, on peut relever qu’entre 1991 et 2001, en Belgique, 217.000 emplois nets (créations moins suppressions) ont été créés. Mais 212.000 l’ont été à temps partiel et seulement 5.000 ont été des contrats à durée indéterminée (9). Dans les 200.000 emplois que l’équipe de Verhofstadt veut voir apparaître, combien sont des temporaires, combien sont des temps partiels, combien sont des postes de sous-traitance... ? C’est le sablier qui est mis en place. Car un emploi atypique est moins bien rémunéré que les anciens postes fixes à durée indéterminée.

Henri Houben

(1) Guy Verhofstadt, Une Belgique créative et solidaire. Du souffle pour le pays, Déclaration gouvernementale, Bruxelles, 10 juillet 2003, p.66. Le Produit intérieur brut (PIB) calcule la valeur marchande créée en un an par la Belgique (dans ce cas-ci). (2) Guy Verhofstadt, op. cit., p.66 et Di Rupo, Pour une Belgique créative et solidaire, Rapport de l’informateur à sa Majesté le Roi Albert II, Bruxelles, 28 mai 2003. La hausse du PIB réel s’entend hors inflation. (3) IMF, World Economic Outlook, avril 2003, p.172. (4) Guy Verhofstadt, op. cit., p.54. (5) Conseil européen de Lisbonne, « Conclusions de la présidence », Lisbonne, 23 et 24 mars 2000, point 5. (6) Voir à ce sujet Serge Cols, François Gobbe, Henri Houben et Anne Maesschalk, L’Europe de la Table ronde, brochure Attac Bruxelles, Bruxelles, 2001. (7) Soulignons, dans la Déclaration, la proposition d’amnistie fiscale pour ceux qui ont procédé à l’évasion fiscale, moyennant une taxe « attrayante » permettant le rapatriement de ces capitaux. (8) Alain Lipietz, La société en sablier, éditions La Découverte & Syros, Paris, 1998. (9) Calculs propres sur base de Commission européenne, L’emploi en Europe 2002, juillet 2002, p.174.


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