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Campagne contre la « Constitution européenne »

La Commission ment et manipule

par Henri

Attac se lance dans une campagne contre le texte du « traité constitutionnel ».

Pour cela, il veut s’en prendre à un point important de ce document, tout comme un élément essentiel de toute la construction européenne : les citoyens, les populations ne sont pas réellement intégrés dans ce processus ; les instances européennes décident, mais les gens n’ont finalement pas véritablement voix au chapitre.

Or, surprise ! La Commission européenne entame, elle aussi, une mobilisation tout azimut pour faire participer les citoyens. Dans ce cadre, elle vient de publier une brochure que l’on peut télécharger sur le site de l’Union européenne. Au lieu des 340 pages du traité, on peut se contenter d’une trentaine de pages censées résumer le document. Se contenter ? C’est bien là, le problème. Car la version de cette brochure est quand même très différente du texte du traité (même si elle renvoie à chaque fois au texte des articles mêmes).

Un procédé de manipulation ? En tous les cas, ce n’est pas la transparence ou l’information adéquate attendue.

Comment on peut, au nom de la démocratie, finalement la trahir.


Campagne contre la « Constitution européenne »

La Commission ment et manipule

Les instances européennes veulent lancer un vaste débat dans la population européenne sur la nouvelle « Constitution européenne ». C’est l’occasion, se disent-elles, de justifier la nécessité de cette Europe, dominée par les multinationales, les financiers et autres technocrates. Et d’affirmer qu’elles veulent être démocratiques, transparentes, proches des gens, ...

Le problème est que le texte présentant cette « Constitution » fait quelque 340 pages, dans un jargon juridique qui n’est pas à la portée de tout le monde. D’autant qu’il faut ajouter que la majorité des articles définissent des tâches souvent abstraites à l’une ou l’autre institution et ces dernières s’emboîtent dans une hiérarchie et des compétences qu’il n’est pas facile de résumer en cinq minutes.

Alors, la Commission a eu la bonne idée de rassembler les idées principales et les enjeux du document dans une petite brochure de trente pages (1). Seulement, en parcourant celle-ci, on s’aperçoit bien vite qu’elle est très orientée, partiale et même qu’elle trafique en fait les articles de la dite Constitution. Relevons quelques manipulations manifestes.

D’abord, il est fait mention presque partout de la « Constitution » européenne. En réalité, c’est erroné. Le titre exact est : « projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe ». Il s’agit essentiellement d’un traité qui reprend l’essentiel des accords européens précédents dans un seul texte, qui ajoute ou précise sur un point ou l’autre une nouvelle fonction ou une nouvelle répartition et qui donne à l’Union européenne le statut juridique, lui permettant d’agir sur le plan international en tant qu’entité. Strictement parlant, ce n’est donc pas une Constitution.

Si la Commission et les autres instances européennes lui donnent ce caractère, c’est qu’elles veulent aller plus loin. Poussées par la France, l’Allemagne et la Belgique, elles préparent les esprits à réfléchir en tant que « nation » européenne, avec un Etat européen, même si ce projet ne plaît pas aux différents gouvernements britanniques. On est donc dans une situation hybride où certains s’apprêtent avec ce texte à créer une nouvelle puissance à l’échelon du continent, ce que refusent catégoriquement d’autres pays. Résultat : on a une « Constitution » qui n’en est pas une. Mais, pour être correct et refléter l’état exact des discussions, il faudrait parler de « traité constitutionnel ». Présenter le document comme une « Constitution » à quasiment toutes les pages ne peut mener qu’à la confusion et donc à la manipulation.

Deuxièmement, la Commission présente l’élaboration du texte à travers une Convention citée comme un exemple de démocratie. Il est intéressant de noter que, dans la brochure, il est souligné le caractère peu participatif des négociations européennes précédentes : « La méthode utilisée jusqu’ici pour réviser les traités a subi de nombreuses critiques. La construction européenne est l’affaire de tous les citoyens. Les étapes qui en marquent son développement ne peuvent plus être décidées lors de conférences intergouvernementales, tenues à huis clos, entre les seuls responsables des gouvernements des Etats membres » (2). Quel aveu ! Quelle différence, par exemple, avec les propos d’un Pascal Lamy, commissaire au Commerce, qui déclarent que l’Union européenne est en soi une construction démocratique (3) !

Interrogeons-nous quand même sur ce fameux « nouvel » exemple politique : la Convention. Celle-ci a été créée lors du sommet européen de Laeken, en décembre 2001. Président : Valéry Giscard d’Estaing, ancien président de la France et membre de plusieurs associations pro-européennes, proche des milieux patronaux français. Vice-présidents : Jean-Luc Dehaene, ancien Premier ministre belge et, depuis lors, administrateur de plusieurs sociétés dont Umicore, l’ancienne Union minière ; Giulano D’Amato, ancien Premier ministre italien. Ces deux derniers sont membres d’une organisation appelée Friends of Europe (les Amis de l’Europe), dont le président n’est autre que le vicomte Etienne Davignon, ancien président de la Société Générale de Belgique et membre la Table ronde des industriels européens (4). Les liens de la Convention avec le monde des multinationales et de la finance ne font donc aucun doute. Cela, en toute transparence et démocratie, bien sûr !

La Convention a mobilisé 105 membres, venant du parlement européen et d’autres instances. Il est vrai que les ONG, les syndicats pouvaient assister aux réunions à titre consultatif, que les documents étaient publiés sur le site réservé à cet effet et qu’il était possible également de donner son avis sur celui-ci. Néanmoins, ce n’est pas exagéré d’affirmer que cette Convention n’a guère dépassé le stade de la confidentialité. Qui en a entendu parler dans la population ? Sûrement pas grand-monde. Rappelons que, selon un sondage auprès de 25.000 personnes, 71% des interrogés estimaient être mal ou très mal informés du projet constitutionnel, issu de cet organe de 105 membres (5). Voilà un bel exemple de démocratie, s’il en est !

Troisièmement, plus fort encore : la brochure résume ce qui se trouve dans le traité constitutionnel. En ce qui concerne les valeurs et les objectifs, voilà ce qui est écrit : « La Constitution énonce les valeurs sur lesquelles se fonde l’Union : le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’Etat de droit, ainsi que le respect des droits de l’Homme. Celles-ci sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité, l’égalité entre les hommes et les femmes et la non-discrimination  » (6). Très bien ! Très beau, direz-vous !

Ce que le texte de la brochure omet, c’est qu’ « un marché unique où la concurrence est libre et non faussée » est cité dans l’article 3 du projet constitutionnel, dont l’objet concerne les objectifs de l’Union. Ainsi, le traité constitutionnel indique que le marché libre est un but en soi de l’Union. Mais ceci n’est nullement mentionné dans la brochure. Tout ce qui est repris, c’est l’article 4 qui déclare la libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux comme droit fondamental, qui ne peut requérir d’exception au nom de la nationalité.

Ceci est sans doute critiquable. Mais faire du marché libre un objectif en soi va beaucoup plus loin, car cela fonde le capitalisme et la société de marché comme éléments indépassables de l’Union européenne. Or, ceci est absent de la brochure. On peut, à juste titre, parler de manipulation.

Quatrièmement, enfin, la brochure explique que le traité constitutionnel reprend la Charte des droits fondamentaux, dans lequel sont inscrits les droits sociaux des travailleurs. Citons donc de quel droit il s’agit. C’est l’article II-15 : « Toute personne a le droit de travailler et d’exercer une profession librement choisie ou acceptée. Tout citoyen ou toute citoyenne de l’Union a la liberté de chercher un emploi, de travailler, de s’établir ou de fournir des services dans tout Etat membre » . Ainsi, ce fameux droit social ne concerne pas la possibilité d’avoir un emploi convenable, payé décemment, dans des conditions de vie acceptables. Cela n’est pas garanti. Et ne cherchez pas non plus un droit au logement, à un revenu pour vivre, etc. Cela ne s’y trouve pas. Au contraire, ce qui est assuré, c’est le droit de travailler, que sans doute de méchants capitalistes voulaient empêcher. Voilà, travailleur, tu es maintenant bien protégé !

Terminons par la manipulation ultime. Au début de la brochure, la Commission insiste : « Ce document n’a pas de valeur juridique et n’engage pas les institutions européennes » . Donc comprenez bien, citoyens : la Commission vous fait un beau petit texte pour comprendre ce qu’est la nouvelle « Constitution », pour vous éviter de vous taper les 340 pages de textes arides et indigestes ; elle en profite pour raconter ce qu’elle veut ; mais, si vous contestez cette manière de présenter, elle n’est pas responsable. Qui a lancé l’idée d’exemple de démocratie, de transparence, de citoyenneté ?

Henri Houben

(1) Commission européenne, Une Constitution pour l’Europe. Une présentation aux citoyens, 2004, qu’on peut trouver sur le site : L’avenir de l’Union (2) Commission européenne, op. cit., p.4. (3) Pascal Lamy, La démocratie-monde. Pour une autre gouvernance globale, éditions Seuil, Paris. Voir Henri Houben, Pascal Lamy : un commissaire « alternational », Angles d’Attac, n°56, juin 2004, p.4-5. L’article (4) La Table ronde ou ERT (selon le sigle anglais) est un organe d’environ 45 dirigeants des plus grandes multinationales européennes. Il est extrêmement influent sur toutes les orientations de l’Union. (5) EOS Gallup Europe, Flash Eurobaromètre 159 « La future Constitution européenne », février 2004, p.8. Sondage réalisé à la demande de la Commission européenne. (6) Commission européenne, op. cit., p.8.


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