Le débat à la Convention des Attac d’Europe
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Les dates du 29 mai et du 1er juin 2005 résonnent encore comme des victoires historiques. Pour la première fois depuis longtemps, les peuples européens ont pu arrêter un traité de l’Union, celui voulant porter une Constitution sur les fonds baptismaux. Mais comment continuer sur cette lancée ?
D’autant que les problèmes fondamentaux subsistent.
D’abord, le succès du « non » au traité constitutionnel n’implique nullement le retrait de toutes les législations antisociales, antidémocratiques adoptées au niveau de l’Union. Les services publics sont soumis à la libéralisation et à la privatisation. La flexibilité du travail est encouragée. La chasse aux chômeurs est toujours ouverte. Les systèmes de pension, de préretraite et, plus généralement, de sécurité sociale sont attaqués. Le processus de Lisbonne, voulant faire du continent l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde en 2010, demeure l’objectif stratégique des instances européennes. Comment arrêter tout cela ?
Ensuite, la population de France et celle des Pays-Bas ont été mobilisées pour discuter le texte complexe du traité constitutionnel. La question de « l’Europe pour quoi faire ? » a été posée. Comment profiter de cette prise de conscience ?
Enfin, la situation à ce sujet diffère de pays à pays. L’interprétation des textes, des revendications, ainsi que l’état du débat, sont divers. Or, seul un combat à l’échelon européen peut arrêter les plans antisociaux et antidémocratiques concoctés au niveau de l’Union. Comment unifier le mouvement ?
D’ABC à AEISP
Dans ce cadre, Attac Europe a décidé de mettre ensemble les différentes coordinations nationales pour discuter d’un programme de revendications et d’actions qui uniraient et feraient converger toutes les locales Attac en Europe. Il a déposé un plan ABC Le plan ABC. Celui-ci aborde la question des finalités de l’Europe.
En fait, il y avait quatre points importants à discuter dans chaque pays :
quelle Europe voulons-nous ?
quel est l’état du débat sur l’Europe dans le pays ?
quelles sont les réformes institutionnelles qu’Attac pourrait promouvoir de façon centrale ?
quelles sont les politiques qu’on voudrait voir mettre en œuvre au niveau européen ?
Attac France a insisté pour que les prises de position concernent avant tout les questions institutionnelles.
Une fois le débat lancé et mené dans les différentes coordinations nationales, le but est alors de rassembler les réponses et de voir sur quoi il y a accord au sein d’Attac Europe. Cette réunion aura lieu le week-end des 17 et 18 décembre à Bruxelles. Ensuite, le projet sera présenté au prochain forum social européen, qui devrait avoir lieu en avril 2006 à Athènes.
La situation des différents pays est présentée sur le site « Another Europe is possible » Une autre Europe est possible - AEISP. On peut y trouver les contributions et les débats des autres Attac.
La démocratie n’est pas d’abord une affaire institutionnelle
Le groupe Europe d’AB1 s’est rencontré deux fois, l’une début octobre, l’autre début novembre, pour définir quelle serait la position d’Attac Wallonie-Bruxelles et ce qu’on défendrait à la convention des Attac Europe. Pour ce faire, on a reçu l’apport de quelques membres d’autres locales.
Il est apparu nettement et rapidement dans la discussion que les questions institutionnelles n’étaient pas prioritaires. En fait, les difficultés constatées au niveau européen ne viennent pas, en premier lieu, d’institutions, comme la Commission, le Conseil ou le parlement, qui seraient mal pensées ou qui fonctionneraient mal. Selon nous, le mal est plus profond. Le déficit démocratique, pour reprendre une expression en cours dans les cénacles européens, ne consiste pas d’abord en un manque de pouvoir des parlementaires par rapport aux commissaires ou aux ministres. Il réside dans l’absence de participation active des citoyens à la vie politique. Et ceci est lié à la conception générale de la société où les gens sont poussés à travailler pour produire et créer des richesses qu’une minorité s’accapare.
La société européenne est profondément inégalitaire et les politiques menées aux niveaux européen et national renforcent les fractures sociales. S’il y avait une véritable démocratie, avec une information adéquate et participation encouragée des citoyens, jamais de telles orientations ne seraient adoptées. Ainsi, le combat pour une démocratie vraiment participative et responsable ne peut se concevoir que dans la lutte en faveur d’un monde (ou d’une Europe) radicalement différente de celui (ou de celle) que l’on subit aujourd’hui. Ne fût-ce que parce que participer activement à la vie politique et aux décisions essentielles de la cité, du pays ou de l’Union demande du temps. Donc cela s’oppose aux priorités imposées par les multinationales, les groupes financiers et leurs lobbies, à savoir de courir dans les entreprises pour être plus compétitifs, de travailler plus longtemps, d’allonger la carrière, etc.
Dans ces conditions, changer les institutions européennes comme donner plus de pouvoir au parlement – ce qui se justifie pleinement par ailleurs – ne va pas modifier cette donne. Ce serait donc une illusion de croire que c’est de cette manière qu’on va apporter la démocratie. AB1 propose de poursuivre le travail de formation et d’information des gens, comme contribution majeure à la conscientisation politique. Et c’est cet objectif qu’il faut poursuivre avant tout.
Arrêtons le processus de Lisbonne !
Une conséquence de cette position est qu’AB1 considère qu’il faut se mobiliser en premier lieu sur les politiques à mener. De cette façon, on aidera à ce que les citoyens se prennent en main et développent eux-mêmes ce qu’on appelle la « démocratie ».
Le premier point qui a fait l’accord du groupe est qu’il faut stopper le processus de Lisbonne, de la même façon qu’on a pu mettre (momentanément ?) au frigo le traité constitutionnel ou remettre en cause la directive Bolkestein. Le processus de Lisbonne est le projet stratégique majeur des autorités européennes, à commencer par la Commission, pour imposer la dégradation sociale, comme les travailleurs belges l’ont compris dans le cadre des préretraites. Ce n’est pas ici le lieu d’expliquer tous les éléments de cette stratégie. Mais il nous semble que cela pourrait faire l’objet d’une campagne de même envergure que l’opposition au traité constitutionnel ou à la directive Bolkestein (qui entre d’ailleurs dans le cadre de ce processus). D’où en tout premier lieu : information et formation dans toute l’Europe et association avec les organisations syndicales pour dénoncer les politiques élaborées dans ce contexte.
Ensuite, le groupe s’est prononcé en faveur de mesures sur quatre problèmes qui lui paraissaient prioritaires dans la situation actuelle : la fiscalité ; la défense des services publics ; tout ce qui concerne l’emploi et les revenus ; le développement durable. Prenons brièvement chacun des trois premiers points. Nous avons estimé ne pas avoir assez de temps pour éclaircir le dernier, qui demandait notamment à bien préciser le concept.
Les réformes fiscales que nous souhaitons doivent permettre à la fois de redistribuer de façon plus équitable les richesses et de lancer des programmes sociaux, éducatifs, culturels, … à partir de fonds publics. Ainsi, d’un côté, nous désirons une progressivité plus forte de l’impôt sur les revenus, de sorte que les plus faibles paient moins et ceux qui en ont les moyens financent davantage. De même, nous voulons un allégement de la TVA, qui touche par exemple aussi ceux qui ne devraient pas payer de taxes, vu leurs bas revenus. De l’autre, nous proposons des impôts sur la fortune, sur les plus-values boursières et immobilières et, bien sûr, la taxe de type Tobin sur les transactions financières. Il est clair aussi qu’il faudrait une coordination dans les politiques fiscales de l’Union pour lutter contre la fraude fiscale et les paradis fiscaux et aussi pour éviter la concurrence entre régions pour attirer les investissements des entreprises.
La défense des services publics nous semble également un point capital. Il y a sans doute des divergences sur cette notion entre les pays du nord et du sud de l’Europe. Précisons que, pour nous, la première définition du service public est un service fourni par une entreprise à capitaux publics. Même si cela ne garantit nullement la livraison de biens, marchandises dans les meilleures conditions, la firme publique peut échapper à deux travers du privé : elle n’est pas obligée de suivre une politique de rentabilité à outrance ; appartenant à l’Etat (ou à une autre institution), elle peut être soumise à un contrôle populaire et ses gestionnaires peuvent avoir à rendre des comptes dans ce cadre, alors qu’une société privée ne dépend que de ses actionnaires et proportionnellement à l’apport en capital de chacun. Ainsi, le groupe Europe d’AB1 a précisé un certain nombre de secteurs qu’il estime devoir, de toute façon, rester dans les mains des pouvoirs publics et exercer un monopole : d’abord les fonctions traditionnelles de l’Etat comme l’administration, la justice, etc. ; ensuite, un certain nombre de missions non marchandes comme la santé et l’éducation ; enfin, des secteurs récemment privatisés (notamment dans le cadre du processus de Lisbonne) comme les télécommunications, l’énergie, la poste, les transports et l’eau.
Enfin, la question de l’emploi a suscité un certain intérêt. Les revendications vont du droit à avoir un emploi (et qui remplacerait le « droit à travailler » qui se trouve maintenant dans la charte des droits fondamentaux) à la réduction du temps de travail avec maintien du salaire et embauches compensatoires avec des contrats non précaires. Faut-il un salaire minimum au niveau de l’Europe ou dans chaque pays ? La réponse du groupe est qu’on doit avoir les deux. Sans doute on ne peut imposer un minimum à l’échelon de l’Union, car s’il est trop haut il est inaccessible aux pays moins avancés et s’il est trop bas il ne signifie rien pour les nations les plus « riches », voire il serait une incitation au dumping social. En général, la demande est de pratiquer le salaire minimum comme étant la moitié du revenu moyen du pays. Ce serait la partie nationale de la revendication. Mais il faudrait aussi un processus contraignant de convergence vers le haut, qui encouragerait les pays les moins avancés soit de progresser en termes de PIB (produit intérieur brut), soit de payer des salaires minima de plus en plus élevés. C’est l’aspect européen du programme.
Une autre Europe est possible
Comme on le voit, le groupe Europe d’AB1 ne se prononce pas d’une façon générale en faveur d’une prise en charge des questions au niveau national ou au niveau européen. Cela dépend du problème. Certaines règles doivent être définies au niveau européen, car il faut empêcher la concurrence sur ces matières et donc la dégradation sociale. D’autres ne peuvent être appliquées qu’à l’échelon national, car elles sont spécifiques à chaque pays.
Nous sommes évidemment d’accord pour que le parlement ait davantage de pouvoir, qu’il ait l’initiative législative (et non la Commission, comme c’est le cas aujourd’hui), que les commissaires soient individuellement responsables de leurs politiques devant le parlement, que les parlements nationaux aient plus de contrôle sur ce que font les différents représentants nationaux dans les enceintes européennes, etc. Mais ces propositions ne doivent pas nous faire perdre de vue que l’essentiel est de mobiliser les citoyens pour mener des politiques radicalement différentes.
Ceci exige en matière institutionnelle avant tout une plus grande transparence, une meilleure information (plus politique et moins technique, plus ciblée aussi que la tonne de documents produits chaque année…) et une simplification des structures pour que chaque citoyen comprenne les enjeux de la politique européenne.
Une autre Europe est possible. Ne la laissons pas dans les mains des seuls hommes dont la profession est la politique, des techniciens et, en définitive, dans les pattes des lobbies patronaux. Construisons-la ensemble !
Henri Houben
Si vous êtes intéressé à participer aux activités du groupe Europe d’AB1, vous pouvez nous contacter :
Laetitia Sedou : Envoyez un mail à Laëtitia Sedou
Téléphone : 0496/15.83.91
Henri Houben : Envoyez un mail à Henri Houben
Téléphone : 02/415.92.49.