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Cinéma d’Attac - jeudi 20 avril, 21h30 (débat à 20h30) - Cinéma Arenberg

SECTION SPÉCIALE, de Costa Gavras

ANTI-TERRORISME ? NON : lois sécuritaires, justice d’exception, atteintes aux libertés...

Un film sur des faits véridiques, quand le gouvernement de Vichy renversait l’État de droit et organisait des procès truqués afin d’assassiner « légalement » les résistants.

Dès 20 heures 30, le DÉBAT :

« État de terreur et terreur d’État : la Belgique à l’heure américaine ? »

avec Jean-Claude PAYE, sociologue,auteur de La fin de l’État de Droit (éditions La Dispute) ; Bahar KIMYONGÜR, responsable du Bureau d’Information du DHKPC à Bruxelles,condamné à 4 ans d’emprisonnement fermes le 28 février ; et Jan FERMON, avocat,défenseur de Musa Asoglu, condamné à 6 ans de prison dans la même « affaire Erdal » et maintenu en régime d’isolement et de haute sécurité


SECTION SPÉCIALE

Cinéma Arenberg (26 Galerie de la Reine)

France (1974)- Durée : 120 minutes ê Prix d’entrée unique : 6,2 euros (y compris pour le débat)

Section spéciale...

Tout est vrai. Le 21 août 1941, l’aspirant Alfons Moser de la Kriegsmarine est abattu sur le quai du métro Barbès-Rochechouart. L’auteur de l’attentat ? Un jeune résistant dont le nom de guerre deviendra célèbre et célébré : le colonel « Fabien ». En représailles, les autorités allemandes exigent l’exécution de six otages. Anticipant les désirs du Reich, le gouvernement de Vichy précipite la création d’un tribunal d’exception et, à cet effet, promulgue le 23 août un décret antidaté, qui institue une Section spéciale dans chaque Cour d’Appel. Cette juridiction aura pour charge de prononcer sur-le-champ des peines capitales à l’encontre des communistes et des anarchistes, auteurs de « menéesantinationales ». La procédure est expéditive ; les décisions non motivées, sans recours possible ; leur exécution est immédiate. En outre, l’application du décret est rétroactive, de sorte que seront dorénavant punis de mort des actes qui -à la date où ils avaient été commis- relevaient de la correctionnelle. Reste encore à trouver les magistrats. On assiste, dès lors, à des scènes d’une force inouïe, où le Garde des Sceaux tente de persuader les présidents des chambres de Cour d’appel de se prêter à cette mascarade au nom de la raison d’Etat. Le 26, la Section spéciale est installée. Trois condamnations à mort sont prononcées. Pierre Pucheu, le ministre de l’Intérieur, refuse la grâce. Le 28 août, les trois condamnés sont guillotinés. Une année plus tôt, c’était encore le monde à l’envers. Le 20 août 1940 (soit deux mois après l’entrée de la Wehrmacht dans Paris), les premières manifestations antisémites s’étaient attaqué à une série de magasins des Champs-Élysées et, le 1ernovembre, tous les établissements recensés avaient été obligés d’arborer l’affiche jaune « Entreprise juive ». N’empêche. Le couvre-feu, fixé à 23 heures le 27 juillet, avait été repoussé à minuit -dès novembre- « pour récompenser l’attitude pacifique et compréhensive de la population parisienne ». Il faut dire qu’une très grande majorité de Français avaient adhéré avec enthousiasme aux propos revanchards du maréchal Pétain : « Depuis la victoire de 1918, l’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu’on a servi », « L’ordre nouveau ne peut impliquer un retour, même déguisé, aux erreurs qui nous ont coûté si cher. Le régime nouveau sera une hiérarchie sociale ».

Tout est vrai. Le pays, qui a été mis en coupe réglée, ressemble de plus en plus à un comptoir colonial. Les principales entreprises et leurs travailleurs sont désormais obligés de participer à l’effort de guerre nazi. Les spoliations ont été légalisées sous prétexte d’aryanisation. Le pillage économique s’exerce sans désemparer à l’instigation de prétendus « bureaux d’achat » (la Wehrmacht a les siens, mais aussi la Luftwaffe, la Kriegsmarine, l’Abwehr, les SS) qui raflent tout. A pleins camions, par wagons entiers ou par péniches à raz. Pendant ce temps pour la population, la carte de rationnement est devenue aussi vitale que les papiers d’identité. Qui plus est, ladésobéissance civile est sévèrement réprimée. Ainsi, dès le 27 août 1940, au camp de Souges, près de Bordeaux, les Nazis ont fusillé Israël Leizer Karp : trois jours plus tôt, près de la gare Saint-Jean, le malheureux s’était précipité, canne brandie, sur le tambour-major qui faisait parader un orchestre militaire trop « boche ». Le 23 décembre, dans le bois de Vincennes, c’était le tour de l’ingénieur catholique Jacques Bonsergent, « coupable », avait-on dit, d’avoir bousculé, le 10 novembre, un sous-officier allemand dans la cohue de la gare Saint-Lazare... S’OPPOSER...? Durant la première année de l’Occupation, les principales activités des réseaux de résistancen’avaient consisté qu’à collecter des renseignements militaires et à saboter des infrastructures utilisées par l’armée d’occupation. Au beau milieu de 1941, tout va se précipiter. Le 22 juin à 4 heures 30 du matin, sur un front de 3.000 kilomètres, deux millions d’hommes, 3.200 avions, 10.000 chars se sont lancés à l’assaut de l’Union soviétique. Dans le monde entier, la nouvelle a surpris, soulagé puis exalté les militants communistes. Durant tout le deuxième semestre de 1941, le déclenchement de la lutte armée devient leur grande affaire. Cette initiative n’est certes pas propre au Parti communiste français. Tous les PC d’Europe occupée ont reçu les mêmes directives de l’Internationale : « Sans perdre un instant, organisez des détachements de partisans. Mettez le feu aux usines de guerre, aux stocks de carburants, aux aérodromes. Détruisez les chemins de fer, les réseaux téléphoniques. Il est absolument essentiel d’utiliser tous les moyens possibles pour terroriser l’ennemi ».Evidemment, ce type de directives est plus facile à édicter qu’à mettre en œuvre. Certes, en ce qui concerne le PCF, celui-ci a créé en 1926 des Groupes de défense antifascistes directement inspirés du Rote Front accolé au Parti communiste allemand. Certes, avec la guerre d’Espagne, les plus décidés des jeunes militants ont acquis une certaine expérience des armes et du combat dans les Brigades. N’empêche, ils ne sont qu’une toute petite minorité, alors que la grande masse des membres (même illégaux et clandestins) n’est pas du tout préparée à se lancer dans des activités de guérilla urbaine. D’autant que, par tradition, le PC a toujours condamné la pratique des attentats individuels, considérée comme anarchiste. Question d’efficacité : pour les communistes, l’acte individuel est le fait d’une élite suicidaire, incapable d’entraîner le peuple dans l’action ; par contre, ils aspirent au soulèvement armé de masse qui culmine dans l’insurrection, comme en 1917 enRussie. Évidemment, depuis l’automne 1940, le PC dispose d’une « organisation spéciale », chargée principalement de la protection de certaines actions de propagande -comme les prises de parole, les distributions de tracts devant les usines ou sur les marchés. L’une des premières actions d’envergure de l’OS a d’ailleurs été l’organisation du déraillement d’un train près d’Epinay, en juillet 1941. Mais c’est insuffisant pour « épouvanter » : le Parti doit combattre « directement » l’armée ennemie. Le 15 août 1941, l’Humanité lance alors le premier appel à la lutte armée. Pas facile : il faut surmonter des obstacles d’ordre technique (en l’occurrence l’absence d’armes) et plus encore psychologique, dans la mesure où l’on demande de tuer de sang froid. Le responsable du bras armé des Jeunesses Communistes ne s’en cachera pas : « Le grand mérite des Bataillons de la Jeunesse, de Fabien et de ses camarades de l’époque aura été, malgré toutes ces difficultés, d’ouvrir la voiedu combat armé en exécutant des officiers nazis. Il a fallu beaucoup d’explications pour gagner cette bataille ». Car les attentats provoqueront un dramatique débat au sein même de la Résistance. Pourtant, en six mois, le PCF parviendra à imposer ce type de combat comme l’une des nouvelles donnes dans la situation politique générale. Un rapport du conseiller auprès du Tribunal militaire allemand en zone occupée, Hans Dortezl, sera bien obligé de le reconnaître : « Du point de vue idéologique, les succès de la résistance sont d’une grande importance pour l’adversaire et présentent un grand danger pour nous. Un sentiment d’insécurité qui empire toujours davantage (...) ».

Le 12 août 1941 dans un message radiodiffusé, le chef de l’Etat français avait pourtant prévenu : « De plusieurs régions de France, je sens souffler depuis plusieurs semaines un vent mauvais. L’inquiétude gagne les esprits, l’autorité de mon gouvernement est discutée. Un long délai sera nécessaire pour vaincre la résistance de tous les adversaires de l’Ordre nouveau. Amis, il nous faut dès à présent briser leurs entreprises, en décimant les chefs »... Le 15 août, le général von Stülpnagel, commandantmilitaire en France occupée, avait surenchéri : « Le Parti Communiste français étant dissout, toute activité communiste est interdite en France. Toute personne qui se livre à une activité communiste, qui fait de la propagande communiste ou tente d’en faire, qui soutient de quelque manière que ce soit des agissements communistes est l’ennemi de l’Allemagne. Le coupable est passible de la peine de mort, prononcée par une cour martiale allemande ». La menace n’est pas déclamatoire. Le simple fait de participer à une manifestation pourra désormais conduire tout droit au peloton d’exécution. Cas exemplaire : Samuel Tyszelmann et Henri Gautherot -pour avoir manifesté, le 13 août,avec une centaine d’autres jeunes, de la station Strasbourg-Saint-Denis à la République, aux cris de « Vive la France, vive l’Angleterre, vive l’Union soviétique- ont été arrêtés avec la complicité de la police française, condamnés à mort par un tribunal militaire allemand et exécutés six jours plus tard. Oui, décidément, il faut passer à d’autres formes de résistance : la répression allemande se fait de plus en plus féroce à l’encontre de l’agitation communiste qui s’amplifie. Entre le jour où Samuel Tyszelmann -premier jeune Juif résistant à trouver la mort- est fusillé et celui où « Fabien » (de son vrai nom « Pierre Georges ») abat l’aspirant de marine Moser, les Juifs de Paris ont connu une nouvelle épreuve : près de six mille hommes, femmes et enfants ontété tirés du lit à 4 heures du matin et amenés à Drancy, antichambre des camps de la mort. Cette fois, il s’agit de Français. Les raisons données par les autorités occupantes (dans une logique qui unit, avec une constance permanente, Juifs et communistes) ? « Représailles contre l’agitation terroriste ». Dans ce nouveau contexte, comment lutter, comment s’opposer ?

Le 19, les deux militants communistes ont été assassinés dans des conditions particulièrement atroces : Henri Gautherot, qui avait été blessé de trois balles dans la jambe lors de son arrestation dans le métro, aété transporté sur une civière jusqu’au bois de Verrières (près de Châtenay-Malabry) où il a été -comme Tyszelmann juste avant lui- attaché à un arbre et fusillé. Pour les venger, Fabien abat de deux balles « calibre 6.35 » le soldat Moser, « des coups de feu qui vont déchirer l’Histoire en deux et résonner comme un appel au combat armé à travers toute la France ».

PEINE CAPITALE. Première exécution d’un militaire allemand sur le sol français, le geste de Fabien aura suffi à fracasser le silence. L’affront est énorme pour les occupants, et Hitler demande à être immédiatement informé des rétorsions envisagées. Le lendemain matin, le major Beumelburg convoque le délégué du Ministère français de l’Intérieur et exige que Vichy exécute six Français car, selon le représentant de la Wehrmacht à Paris, cela aura « plus d’effet » que les exécutions allemandes. En début d’après-midi, dans une note remise aux Allemands, le gouvernements’engage à installer au plus vite un tribunal spécial qui fait justement l’objet d’un projet depuis quelques semaines. Sur instructions de l’amiral Darlan, chef du gouvernement, il s’agit de concevoir une juridiction d’exception prononçant des peines capitales contre les « terroristes communistes ». Le projet, présenté par le ministre Pierre Pucheu, envisage une procédure expéditive, des décisions non motivées, sans appel, et la peine capitale pour des actes jusqu’alors qualifiés de délits. Oralement, les représentants du Ministère iront même jusqu’à préciser, à leurs interlocuteurs allemands, que « la sentence prononcée par le tribunal spécial sera exécutée de manière exemplaire pardécapitation à la guillotine sur une place de Paris ». Hitler est tout de suite informé de ces engagements. Dans un rapport rédigé le jour même, Beumelburg note que « l’effet rétroactif d’une loi pénale signifie l’abandon du sacro-saint principe libéral "Pas de peine sans loi" », que la promesse de donner des instructions de sentence à un tribunal « rompt avec le principe de la séparation des pouvoirs » et qu’ainsi le gouvernement français « s’engage dans de nouvelles voies pour l’établissement d’un ordre étatique nouveau ».

Reste à trouver des juges acceptant la besogne. Le 23 août dans l’après-midi, Jean-Pierre Ingrand (délégué du Ministère de l’Intérieur) convoque plusieurs dignitaires de confiance : Louis Rousseau (représentant du Garde des Sceaux) ; I’avocat général Victor Dupuich ; Maurice Gabolde (le Procureur de l’Etat à Paris) et Werquin (le représentant du premier Président de la Cour d’appel). Il leur donne connaissance du texte de loi pour qu’ils avalisent la manœuvre. Abasourdis, les magistrats refusent d’abord cette infamie. Finalement, Gabolde (qui deviendra Garde des Sceaux en 1943) accepte, seul, de rédiger la disposition sur la rétroactivité. Deson côté, pour contourner l’hostilité manifeste des magistrats présidents de cour, Pucheu décide de modifier la future « loi » : les juges de la Section spéciale ne seront plus nommés par des magistrats, mais par le Garde des Sceaux lui-même. Celui-ci, Joseph Barthélemy, qui a enseigné à des générations d’étudiants de Sciences politiques les grands principes du droit français, fait donc route vers Paris. Le 25 août, à 16 heures, il reçoit une dizaine de juges des hautes Cours qu’on a fait convoquer pour la circonstance. Tous les présidents de Chambre refusent. « J’ai l’impression de courir sur une plage avec une bougie allumée par grand vent... », dira Barthélemy. Mais le ministre de la Justice trouvera finalement un vice-président, Michel Benon pour accepter. Le soir même, la Section spéciale de Paris est constituée. Avec cinq magistrats prêts à tout. Reste à trouver des victimes... Le choix étant limité, on doit puiser dans les dossiers en appel. Le 26, des avocats, parmi les plus jeunes du Barreau, sont commis d’office. Le tribunal se réunit le 27 au matin et prononce trois condamnations à mort. André Bréchet, 40 ans, responsable parisien du PCF, condamné neuf jours plus tôt à quinze mois de prison ; Emile Bastard, arrêté pour possession d’une ronéo à son domicile et condamné à deux ans d’emprisonnement pour propagande communiste ; et Abraham Trzebrucki, marchand ambulant, condamné à cinq ans, six semaines auparavant, pour « avoir collecté des fonds en faveur d’organismes contrôlés par la Troisième Internationale ». Car « il fallait unJuif », dira l’avocat général. Le lendemain, tous les trois sont décapités.

L’EXCEPTION ET LA RÈGLE. Section spéciale ? Autant le dire sans ambages : ce sixième long-métrage, dans la filmographie de Costa-Gavras, est une œuvre d’une intensité émotionnelle rare, qui prend au cœur de bout en bout -subjugué que l’on est par la vérité d’événements trop sensationnels, par la justesse d’un scénario parfait et le brio d’acteurs tous formidables. Mais au-delà d’un acte cinématographique au plus près du réel, le filmfonctionne aussi comme un appel à réfléchir sur la résistance armée, « le terrorisme », la justice aux ordres et les lois d’exception. Un appel à l’intelligence du spectateur pour se saisir d’un passé qui ne passe toujours pas, mais qui -pour autant- n’est pas de l’histoire ancienne.


Jean FLINKER

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