Spécial Traité de Rome
Editorial Angles d’Attac mars 2007
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Des noces d’or ! C’est ainsi que veulent nous présenter les dirigeants européens, aussi bien ceux des instances communautaires que des Etats membres, le cinquantième anniversaire de la signature du traité de Rome, le 25 mars 1957.
La présidence allemande n’y va pas quatre chemins. Elle veut célébrer l’événement par de grandes festivités à Berlin et nous inonder d’une propagande anesthésiante : depuis cinquante ans, l’Europe serait le royaume de la paix et le marché intérieur nous aurait amené la prospérité économique et sociale. Le message lénifiant se ponctue d’une autocongratulation : « Nous, Européens, sommes fiers de ce que nous avons réalisé » [1].
La perspective est tellement peu critique qu’on peut se demander ce que recherchent les autorités européennes : une reconnaissance après coup ? une réaffirmation de l’actualité européenne, malgré les différentes crises politiques qui se sont passées ces dernières années ? une nouvelle unification autour du projet initial ?
Sans doute, un peu de tout cela. Mais bien davantage. Même si le traité constitutionnel a été refusé par les populations française et néerlandaise, il est toujours présent dans la tête des responsables de l’Union. Angela Merkel, la chancelière allemande, s’apprête à introduire une nouvelle proposition pour adopter un accord sur ce point. Cela risque d’être sur la table des négociations de juin 2007.
En cela, elle est soutenue par le patronat européen. En effet, la note de l’UNICE, la confédération patronale européenne, est claire à ce sujet : « Pour avancer, l’Europe doit résoudre ses problèmes institutionnels et adapter son processus de décision au nombre actuel des Etats membres. Prendre des actions appropriées pour améliorer l’efficacité et la transparence des institutions de l’Union, tout en préservant la méthode communautaire, doit être une priorité de l’Union européenne. La Commission doit rester forte, indépendante et demeurer le gardien des traités. Elle doit conserver le droit d’initiative pour proposer des actions au Conseil et au parlement dans l’intérêt de toute la Communauté. La stabilité de la présidence de l’Union doit être renforcée. La crédibilité de l’Europe dans les Affaires étrangères requiert une voix forte au nom d’une réelle politique étrangère européenne vis-à-vis du reste du monde » [2]. Soit ce qui se trouvait comme principale innovation institutionnelle dans le défunt traité constitutionnel.
Tout ceci pourrait rester sans conséquences ou à effets réduits, s’il n’y avait pas un autre problème pour ces dirigeants européens : le soutien populaire au projet européen. Comme l’ont écrit Robert Cox et Keith Richardson, au nom des Amis de l’Europe, un groupe réunissant l’establishment européen [3] : « L’Union européenne est en danger. (...) Que manque-t-il à l’Europe ? Il lui manque le soutien de son opinion publique. Malgré ses discours, l’Union européenne n’a jamais été une Europe des citoyens. Ce n’était peut-être pas important hier, mais ce l’est aujourd’hui parce que ses activités affectent de plus en plus la vie quotidienne de tout un chacun » [4].
D’où les discours lénifiants sur ce que l’Union européen a réalisé depuis cinquante ans. D’où la volonté de transformer un simple accord communauté en un traité constitutionnel, qui symboliquement aurait rattaché les citoyens à cette Europe qui se construit.
Parce qu’il y a un autre « dommage collatéral » à ce message : la seule Europe est celle que les dirigeants européens nous proposent. Le débat se limite à être pour ou contre cette Europe.
Seulement Attac n’est pas « contre » au nom d’une éventuelle supériorité des Etats nationaux. Il l’est au nom d’un autre projet européen, qui est, certes, à définir en grande partie. Mais une discussion qui ne peut avoir lieu quand on lance des autofélicitations sur les cinquante années passées. C’est d’ailleurs bien le but de ces responsables européens de ne jamais la mener. Et à Attac de la promouvoir.
Henri Houben
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[1] Présidence allemande de l’Union européenne, 50ème anniversaire de l’Union européenne, p.2. 50ème anniversaire
[2] UNICE, « Note for German Chancellor Mrs Angela Merkel », 1er décembre 2006, p.1.
[3] Keith Richardson est l’ancien secrétaire général de la Table ronde des industriels européens, ce groupe d’une cinquantaine de présidents de multinationales européennes (Renault, Fiat, Philips, Nestlé, Unilever, Shell, BP, Bayer, etc.) qui se vante, à juste titre, d’être un élément moteur de la construction européenne actuelle. Robert Cox est un ancien haut fonctionnaire européen.
[4] Les Amis de l’Europe : « Prélude au débat 2001-2004 : A quoi sert l’Union européenne ? », septembre 2001, p.8. Prélude au débat