Editorial Angles d’Attac n°88 (février 2008)
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Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour que la tempête financière se déchaîne. Dès la mi-janvier, les Bourses du monde entier ont commencé à plonger et ne s’en sont toujours pas remises. Ainsi, le Dow Jones [1] a perdu 13% par rapport à son niveau le plus haut en 2007 début octobre. Même chose pour les autres indices boursiers.
A Davos, le petit village de Suisse romande, qui accueille chaque année fin janvier les 1.000 personnalités les plus influentes de la planète, l’anxiété est palpable. Comme l’écrit le correspondant sur place du journal Le Monde : « En 2007, trouver à Davos un responsable pessimiste relevait de la gageure. Un seul jouait les oiseaux de mauvaise augure : l’économiste américain Nouriel Roubini [2]. A contre-courant, il pointait trois dangers : les crédits immobiliers à risques, l’augmentation des prix du pétrole et la fin du crédit bon marché. Cette année, c’est l’inverse : lors de la première journée du forum économique mondial, mercredi 23 janvier, un seul intervenant s’est montré optimiste... la secrétaire d’Etat, Condoleeza Rice » [3].
Seulement, malgré leur inquiétude, il y a deux perspectives que ces « grands de ce monde » ne veulent pas envisager : d’abord, c’est regarder en face l’ampleur de la crise actuelle ; ensuite, c’est prévoir des solutions véritablement fondamentales pour résoudre la récession qui s’annonce. Pour eux, il s’agit d’introduire des réformes, de nouvelles régulations, mais à dose homéopathique. De quoi éventuellement mettre un anesthésiant sur la plaie, mais nullement un remède pour la guérir définitivement.
Pourtant, même s’il est difficile de prédire l’évolution économique prochaine, il est indéniable que les marges de manoeuvre se rétrécissent. Pour éviter une crise mondiale à partir des problèmes asiatiques en 1997, les Etats-Unis et le Fonds monétaire international (FMI) ont alloué des aides sans précédent. Même issue lorsque le Brésil s’est vu touché par la contagion, un plus tard.
Les capitaux « flottants » s’en sont allés vers le pays refuge par excellence, les Etats-Unis. Ils vont alimenter la Bourse des valeurs technologiques, le Nasdaq. L’indice composite de celui-ci passe subitement de 2.700 en septembre 1999 à plus de 5.000 en mars 2000, avant d’éclater : en avril 2001, il vaut moins de 2.000 points [4]. Où peut aller cette masse d’argent qui cherche à se rémunérer davantage ?
Alan Greenspan, le président de la Federal Reserve (FED ou banque centrale américaine), vient au secours des détenteurs de capitaux. Pour apaiser les marchés et les entreprises, il abaisse les taux directeurs auquel les banques peuvent se financer auprès de la FED à 1%. Autrement dit, les prêts qu’elles peuvent mener seront, eux aussi, moins chers. Le but est de favoriser les investissements. Ce qui ne viendra pas. En tous les cas, pas immédiatement.
En revanche, l’endettement des ménages se poursuit à un rythme effréné : plus de 10% par an depuis 2000 (et plus de 12% pour les crédit immobiliers) [5]. Cela pousse les prix immobiliers à la hausse. Et, sur cette base, les particuliers – évidemment il s’agit des franges les plus élevées – continuent de consommer.
De ce fait, se crée un « cercle vertueux » où les riches Américains achètent, mais surtout des produits étrangers. Trois biens sur quatre vendus aux Etats-Unis sont fabriqués à l’étranger, principalement en Europe, au Canada, au Japon, au Mexique et en Asie de l’Est. Les capitalistes de ces pays amassent des fortunes qu’ils ne réinvestissent pas nécessairement chez eux. Une partie est placée, au contraire, aux Etats-Unis, ce qui propulse les marchés financiers à la hausse. De ce fait, les avoirs américains se réévaluent sans cesse. Grâce à cela, les familles aisées – mais d’autres également comme on l’a vu avec l’affaire des subprimes – peuvent recourir à des emprunts, consommer et tirer l’économie mondiale [6]. La boucle est terminée et peut repartir à un niveau plus élevé, dans une spirale. Sans fin ?
C’est là que le bât blesse. Pour que cela fonctionne, il faut que plus de 700 milliards de dollars de capitaux, qui arrivent outre-Atlantique sous forme d’investissement, de placement ou de prêt, compensent les quelques 850 milliards de dollars d’importations aux Etats-Unis. Sans quoi, le dollar chute et provoque un cataclysme monétaire, financier et économique planétaire. Or, si l’économie américaine tombe en récession, si les turbulences l’emportent, sera-ce encore longtemps le cas ?
Cette crise est majeure. Elle ne pourra pas se résoudre par quelques petites réformettes. Elle ne se résume pas à quelques imprudences bancaires ou à des pratiques opaques de comptabilité financière, comme certains voudraient le faire croire. Elle montre au contraire des incohérences fondamentales du système capitaliste.
Citons-en quelques-unes. La production est tirée par l’endettement qui prend des proportions démentielles. Ce qui a deux conséquences : à un moment donné, on ne crée plus suffisamment de richesses pour rembourser ces emprunts ; ensuite, le montant des intérêts augmente globalement pour manger progressivement la totalité des bénéfices engendrés par la production. Autrement dit, c’est un mécanisme impossible à tenir.
Deuxième exemple : c’est le rôle du dollar. Tout pays autre que les Etats-Unis qui a la même balance des paiements qu’eux serait obligé de dévaluer massivement sa monnaie et de faire appel au FMI. Mais le dollar sert à environ 55% du commerce mondial (dont la totalité des achats internationaux de pétrole), 86% des échanges de devises et 66% des réserves de change des banques centrales [7]. Le poids du dollar est garanti par la prédominance de Washington sur tous les plans, mais en même temps il assure l’hégémonie économique américaine. Seulement on a vu plus haut que c’est un mécanisme qui ne pourra pas continuer, car cela suppose à un afflux permanent de capitaux outre –Atlantique.
Alors ? On en arrive à la situation inverse de 1989. Là, les chantres du capitalisme et du libéralisme ont annoncé la fin de l’histoire et la victoire définitive du système de démocratie libérale. Aujourd’hui, se présente la vérité nue sur quoi reposait cette supposée supériorité : du vent, de l’illusion financière, de la croissance fictive. Les altermondialistes ont beaucoup critiqué l’injustice et l’inéquité de la mondialisation actuelle. Il est temps de souligner sa profonde inefficacité et absurdité.
Henri Houben
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[1] Le Dow Jones est un indice des valeurs industrielles sur le marché de la Bourse de New York. Il représente l’évolution générale des cours boursiers
[2] Nouriel Roubini a été conseiller économique du président Clinton.
[3] Le Monde, 24 janvier 2008.
[4] Un indice est calculé en points qui n’ont pas de signification en tant que tels. Cela permet juste de voir l’évolution des cours.
[5] Calculs sur base des données de Federal Reserve, Flow of Funds Accounts of the United States, Federal Reserve, Statistics
[6] La consommation américaine représente plus de 9.000 milliards de dollars et le PIB mondial, soit la richesse marchande créée en un an, est évalué pour 2006 à 48.000 milliards de dollars. C’est donc environ 20% du PIB mondial.
[7] En dehors de l’or, mais qui ne représente plus qu’environ 11% de ces réserves.